Il se fait tard, et le soleil de fin d'été se couche tranquillement à l'ouest. Et sur les toits amienois, un voile de sérénité est tombé. Les nuages étalent leur palette de couleur, du bleu profond au rose fuschia. Et c'est beau. 
La Picardie. Vingt-cinq ans de ma vie. Et bientôt, tout ca sera peut être derrière moi. Je suis heureuse de ce projet, et j'ai vraiment envie qu'il se réalise. Mais ce soir, je réalise ce que je laisserai ici. Mon enfance, ma famille, mes amis. Je n'ai connu que ca moi. Que ces grands champs à perte de vue, cette agriculture intensive qu'aujourd'hui je vois avec les yeux d'une botaniste. J'étais une élève moyenne au lycée. Dissipée, sans confiance en elle. Je n'ai toujours pas grande confiance en moi, mais j'y travaille. Pour ce qui est du coté dissipé...je me prépare à faire une thèse. Et que je l'ai ou non, j'en serai arrivé la. Et compte tenu de mes antécédents, c'est déjà franchement pas mal. 

J'ai 25 ans. C'est pas l'âge où on est sensé faire un point ca? 
J'écoute toujours Indochine, ca n'a pas changé. Je n'ai pas fondamentalement changé en 25 ans je crois. J'ai appris, et je fais en conséquence. Mais je reste cette gamine réveuse et méfiante à la fois. Rêveuse devant ce que la vie peut offrir, devant les merveilles qu'elle a créé. Méfiante parce que je sais qu'elle peut vous reprendre ce qu'elle vous a donné en un claquement de doigts. Evidemment, je ne peux pas dire ca sans penser à toi. Dix ans bientôt. Qu'est devenue la gamine de 15 ans que tu as laissé ce jour la? Une jeune femme de 25 ans, toujours à pleurer quand elle se met à penser un peu trop à toi. Parce que oui, toi aussi je te laisse la. Je ne pourrais plus passer devant ta maison. Je ne passerai plus devant notre lycée. Je n'aurai plus que mes souvenirs la bas, et plus rien de concret pour les faire revivre. 

J'ai la trouille bien évidemment, il paraît que c'est normal. J'imagine que oui. Après tout, je ne connais rien de cette région qui pourtant me passionne. Je sais que j'y serai heureuse, parce qu'il sera avec moi. Parce que mes bestioles viendront aussi. Mais pour le moment, j'ai la trouille. Que ca marche ou que ca ne marche pas, dans les deux cas d'ailleurs, j'ai peur. Et je n'imaginais pas le soulagement que me ferai éprouvé le fait de coucher tout ca ici. Je crois même que ce qui me fait peur au fond, c'est de voir a quelle vitesse la vie vous file entre les doigts. Je profite de chaque instant, a grande vitesse. Et parfois, un couché de soleil, et le temps s'arrête. Et je me rends compte que j'ai déjà 25 ans. 

J'ai trouvé l'homme de ma vie. Celui que j'ai toujours cherché sans m'en rendre compte. Il m'est tombé dessus le jour ou j'avais perdu tout espoir de le rencontrer. Il est dans la chambre d'a coté, et je ne le laisserai jamais partir plus loin. Sans lui, je n'aurais jamais eu le courage d'envoyer cette candidature. Je n'aurais jamais tenté tout ca. Je n'aurais jamais cru assez en moi pour le faire. J'ai une famille formidable, je sais qui sont ceux que je veux garder prés de moi pour le reste de mes jours. J'ai une jument et des bestioles fabuleuses. J'ai de la chance. Enormément de chance. Et au final, je me rends compte que j'ai peur pour une bonne raison. J'ai peur, comme tous les gens qui ont beaucoup à perdre.